Cet interview fait suite à mon article Concours en gares : qui a gagné ? dans lequel j’évoquais mon coup de coeur pour la vidéo et la musique d’un participant au concours en gares de la SNCF 2014 : le pianiste et compositeur Florian Doidy.
Florian Doidy s’est prêté avec beaucoup d’humour au jeu de l’interview et a répondu en toute simplicité et en toute transparence à mes questions.
Et c’est avec plaisir que je partage avec vous ce moment de bonne humeur…
Attention, ça décoiffe !! 🙂
Vous êtes compositeur, pianiste et chercheur de sons. Dites-nous en un peu plus…
Waw… ! Ça, c’est une question ! J’en ai rempli des pages sur mon site www.floriandoidy.com pour tenter d’y répondre, mais maintenant je sens bien qu’il me faudra ma vie entière… Comment ça, vous n’avez pas toute la vie devant vous ? Ah…ok. 😉
Alors, dans le bon ordre chronologique : pianiste parce que mon père l’est, a souhaité que je le sois très tôt, et a tout fait pour ça (50% passion, 40% discipline, 30% fainéantise, voilà le cocktail).
Improvisateur dès mes 10 ans, puis compositeur environ deux ans plus tard, dès que j’ai possédé mon premier ordinateur et mon premier synthétiseur, avec lesquels je pouvais empiler plusieurs couches de sons et de musiques (componere, placer ensemble).
Chercheur de sons, dès que ma conscience de compositeur m’a soufflé suffisamment fort dans les oreilles (et il a fallu plus de temps que je ne l’aurai souhaité !). Mes créations avaient tout à gagner en force et en personnalité si j’utilisais une matière sonore qui me soit propre plutôt que de me servir ailleurs du « tout-fait » comme dans une cafétéria. Et puis tout simplement parce-que c’est beau, le son.
Bien entendu, cette rigoureuse départementalisation est fictive : c’est bel et bien le même radeau qui dérive sur le fleuve.
Un pianiste improvisateur se doit d’être attentif aussi bien à la musique qu’à ses résonances physiques dans le piano, le chercheur de son ne doit jamais perdre son recul sur la musicalité et son intérêt, et le compositeur doit tenir les laisses de ces deux lapins sans ébouriffer leurs doux pelages 🙂
Alors, ce concours en gares ? C’était pourtant bien parti : plus de 2300 vus, 480 j’aime et surtout 54 commentaires venant du cœur ! Je n’étais pas la seule à penser que vous aviez toutes vos chances…
Bon, démystifions tout de suite.
A mon grand plaisir, moi qui suis assez joueur, j’ai appris en m’inscrivant dans ce concours la loi très fun d’un concours online avec « likes ». C’est très simple.
Dans l’idéal, il faut avoir des amis ou de la famille prêts à aider. Puis boire (et faire boire) beaucoup de café, Redbull et autres Pringles, puisqu’il va falloir tenir deux mois devant son écran, nuits et jours, pour cliquer sur « j’aime », fermer l’explorateur, rouvrir, et recliquer sur « j’aime ». Déclinaison intéressante et reposante, ne rien cliquer du tout avant de fermer la fenêtre, ça augmente les « vues ». Ca vous semble stupide ? Mmmm…moui mais c’est ce que font beaucoup, manifestement, et je ne voyais pas pourquoi ne pas m’amuser moi aussi, un tout petit peu, puisque le but n’était en aucun cas de participer, mais bien de gagner le cœur (piano) des (du ?) jurys, alors quand on ne sait pas comment, au cas où… ;).
Les commentaires, me direz-vous ? Exact, il y en a eu une telle quantité, dithyrambiques ou remplis d’émotion, que je les ai gardé en souvenir bien précieusement, ceux-là. Mais là encore, avant qu’il y en ait beaucoup, je me suis amusé à en insérer quelques-uns factices, pour les mêmes raisons que cité précédemment. Ah non, je ne vous dirai pas lesquels, la transparence a ses limites.
Le plus amusant dans cette histoire aura été la règle profonde du concours qui a été strictement la même pour tous : méconnue ! Alors on a tout vu ; des gens qui ne savaient pas jouer jusqu’aux pianistes violemment virtuoses, des montages vidéos peaufinés avec grosses caméras aux téléphones portables qui peinaient même à prendre le son, petites compositions pour l’occasion aux œuvres magistrale…ment amputées ! 48 gares pendant un périple ou par hasard dans une seule…etc. Personne ne savait sur quel pied danser, mais on a dansé, ça c’est chouette !!
L’avenir a montré que les choix finaux ont été très orientés dans l’esprit « coup de pouce aux jeunes talents». Pourquoi pas, après tout.
Parlez-nous un peu de Moksha… Tout d’abord est-ce une composition écrite ou l’improvisez-vous à chaque fois ?
Cela ne rend pas peu fier de donner l’illusion qu’on a les capacités d’improviser quelque chose comme Moksha !! 😉
Non, c’est écrit, et depuis fort longtemps d’ailleurs. Je l’ai joué pour la première fois en concert piano solo quand je n’avais guère plus que 20 ans, c’est-à-dire il y a…17 ans ! Ouille.
C’est la composition la plus écrite que j’ai jamais faite (les autres reposaient toujours à un moment ou un autre sur l’improvisation, ou en tout cas des « dérivations contrôlées »). C’est sûrement ce qui explique pourquoi c’est la seule que j’ai gardé intacte dans les doigts depuis. Du haut de mon âge et expérience actuels, je la trouve forcément trop naïve et démonstrative, mais ça n’enlève pas grand-chose au plaisir de la jouer aux autres, et d’en perfectionner le jeu. Le morceau dure normalement entre 5 et 6 minutes, mais une des règles tout de même explicites du concours était de ne pas dépasser 2 minutes, alors j’en ai fait une version TGV 😉
Au passage ; les commentaires sur cette petite vidéo, ainsi que votre enthousiasme-coup de cœur-interview, Claudine, m’ont donné envie d’en réenregistrer une version récente, entière et véloce comme il se doit, avec un magnifique son de piano virtuel (Bösendorfer Grand Impérial Concert), et que je vous dédie ! Ce sera en ligne sur la page « piano » de mon site d’ici deux semaines, trois max. Je l’ai jadis enregistré sur un fantastique (et authentique) Fazioli de 3,10 mètres, mais mon interprétation, vieille de 15 ans, était trop immature pour valoir vraiment le coup…
Merci Florian, c’est une excellente idée et nous irons l’écouter sur votre site www.floriandoidy.com ! En fait quelle différence faites-vous entre improvisation et composition ?
Je ne vais pas trop m’étendre ici car la question est trop vaste, trop riche, et je n’ai que peu de prétentions face à cela.
Immédiatement, ce qui me vient en tête est l’image d’une glissière qui peut aller soit d’un côté « réflexes des doigts, spontanéité, audace, hasard, temps réel », soit de l’autre côté « réflexion, temps différé, trajectoires alternatives, exigence sur le long terme, maturité ». Mais c’est une glissière, pas un interrupteur, vous me suivez ? Si on n’insère pas du hasard et de l’audace dans une composition, ou qu’on ne choisit que la voie de l’automatisme facile lors d’une improvisation, c’est inexorablement perdu ! Quel monde complexe…
Concrètement, ce à quoi je suis resté fidèle par la force des choses : le temps différé permet d’empiler beaucoup de matière et de manière intelligente, constructive (≠systématique, réflexes), ce qui est très, très difficile à obtenir en improvisant ! (c’est quand même un tout petit peu le défi que je me suis lancé dans mon projet ciné-concert BCFI, page vidéos de mon site, je suis incorrigible…). D’où l’inéluctable richesse accrue d’une composition, que ce soit verticalement ou horizontalement (harmoniquement ou « dramaturgiquement »).
De manière cynique, on peut même dire que l’improvisation est à la composition ce que McDo est à la gastronomie, en gros. Heureusement, c’est partiellement faux, puisqu’une improvisation réussie (rare !) apporte une authentique magie à laquelle ne peut prétendre une composition…enfin, pas cette magie-là précisément…c’est surtout notre rapport à notre propre créativité qui change de perspective…ah la la, j’ai dit que je ne m’étendais pas !
Prenons un exemple : vous partez en vacances, vous pouvez
- soit prendre l’autoroute avec un GPS et arriver vite parce que la température de l’océan refroidit vite,
- soit prendre le temps d’étudier un vaste parcours touristique sur une carte, peu importe si, à l’arrivée, c’est juste pour faire une baignade d’une heure parce que le soleil tape trop fort.
Vous avez saisi : l’important c’est d’être en vacances.
Vous utilisez un matériel performant pour faire vos enregistrements. Vous vous définissez comme un sound fisher ou chercheur de sons…
Être intransigeant sur le son n’apporte rien, à part un diplôme de stupidité artistique.
C’est uniquement par curiosité et par passion que je me suis mis à apprendre comment réussir une prise de son (et de m’équiper en conséquence effectivement), ce qui m’a permis d’enregistrer plein de petites formations (très récemment une petite chorale au milieu de la garrigue par exemple) et d’être parfois rémunéré en retour, ce qui est chouette.
Sound Fisher, c’est joli et ça met en avant le hasard ce qui est toujours une bonne et humble chose, mais c’est moins juste que Chercheur de Sons puisque dans mes créations sonores, je ne me contente pas d’attendre avec ma canne à pêche ; je fabrique, façonne et transforme avec des outils spécifiques et variés, comme on le fait avec les notes pour avoir un arrangement musical.
Au final, et au risque de me répéter ; mieux entendre et mieux comprendre le son et sa physique au quotidien aide un artiste/musicien/compositeur comme la gravité aide le skieur.
Selon vous, quelles sont les qualités requises pour être compositeur, est-ce à la portée de tout le monde ?
C’est peut-être bien la plus profonde, la plus personnelle (et donc la plus intéressante) des questions. Je m’y risque en marchant sur des œufs bio vides posés sur un parterre de lave brûlante…
En ce qui concerne les créations assistées électroniquement (MAO), le surdéveloppement de la démocratisation matérielle à donné à des milliers de personnes le sentiment qu’ils composent, sans aucun bagage musical ni artistique (ou bien piètre), ce qui of course n’aboutit pas à des choses très glorieuses. C’est un point important, ambigu, parce qu’effectivement tout « outil » pour créer est d’ors et déjà un intermédiaire indésirable à la spontanéité (d’autres l’appellent inspiration), d’où la nécessité de dompter, en MAO, l’art de savoir oublier la machine (et la course folle aux gadgets aussi nombreux qu’inutiles face à l’Eternité !) en tant qu’instrument.
Plus spirituellement, j’estime que l’art absolu du compositeur c’est d’être mélodiste, que tout passe avant tout par là, et que malheureusement c’est un métier qui disparait petit à petit dans les méandres d’une société qui bouffe de la musique au kilomètre et ne sait plus inventer une ligne mélodique correcte. C’est ce qu’il y a de plus dur à maitriser, et nombreux sont ceux qui se cassent les dents dessus ou qui laissent des essais un poil fadasses (au meilleur des cas, le pire étant majoritairement de faire l’impasse) de trucs plus ou moins thématiques…
Mais quand on a vaincu cette énigme intérieure, le reste n’est presque qu’un jeu de Rubik’s Cube aisé et plaisant. Bien sûr, c’est dur d’inventer avec seulement quelques notes en 2015, mais si on cède à ce stade, il manquera toujours selon moi le ciment d’une œuvre pérenne…Et puis c’est aussi dans ce corps de métier du compositeur qu’intervient le plus le sensible, entendre par là le jeu du hasard, de l’inspiration, de la culture, de la chance, de l’intelligence… Ce n’est donc donné qu’à ceux qui s’ouvrent à cela, naturellement ! Je me suis personnellement engagé dans une voie tellement spécifique et entière de la composition (écoutez & voyez YSME sur mon site, par exemple), qu’il y a plus de ce que je suis dans mon entier dans une création quand dans trois heures de discussion avec quelqu’un.
C’est aussi ça, être compositeur, je pense. Une philosophie de vie qui s’étend un peu plus loin que quelques accords mineurs qu’on croit avoir trouvé un beau mercredi après-midi. Quand on parle mieux que ses compositions, ça donne souvent à penser qu’on est juste un peu opportuniste papillonnant, et ça résiste mal aux mailles d’un filet qui écoute…
Quels sont vos projets dans un futur proche ?
Mais, je me trompe ou c’est la seule question simple ? Bien joué, Claudine ! Alors, en vrac mais quand même dans un certain ordre logique de priorités et de chronologies :
- Travailler le piano ; c’est si bon ! (non, ce n’est pas de la propagande gratuite, je suis le premier à ne pas assez le travailler…)
- Réenregistrer Moksha pour vous qui l’aimez, très chers auditeurs !
- Faire la bande son au piano du court métrage « 24° en Hiver » de Nathalie Blomme
- Tenter d’acheter le piano à queue d’une amie qui ne veut pas me le vendre pas cher
- Créer mon support pour double-caméscope histoire de filmer en 3D relief, je suis passionné par ça ! (je ne vous ai pas dit ? L’aviation non plus ?!)
- Enregistrer 9 impros au piano sur des surnoms en code morse (contreparties inhérentes à mon projet de financement participatif autour d’YSME)
- Accompagner au piano l’atelier de Kader Roubahie sur l’Opéra de Quat’Sous en septembre également.
- Aller en Pologne en octobre pendant le festival européen de Szczecin qui a sélectionné mon film YSME en compétition avec 31 autres, sur 1800 !
- Aller me baigner à l’Espiguette…Oh non ça c’est trop bon je le remonte d’au moins 8 crans.
- Faire le tour du monde à la recherche des sons les plus rares.
- Créer Ysme 2. Non, ça c’est une mauvaise blague. Vous voulez que je fasse un 3e enfant aussi tant qu’on y est ??
- Rencontrer des musiciens avec qui j’ai envie de jouer.
- Rester libre et passionné.
Merci Florian pour toutes vos réponses, votre sincérité et votre bonne humeur. Nous avons appris beaucoup de choses sur l’improvisation et la composition.
“Libre et passionné” sont vraiment des mots qui vous définissent bien.
Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter “bon vent” pour tous vos projets (sans jeu de mots même si vous êtes aussi aviateur 😉 ) !
Merci beaucoup aux internautes de m’avoir lu, ce fut un plaisir de répondre à de telles questions, merci Claudine ! Amitié, Florian Doidy
Interview rafraîchissante avec un compositeur atypique et de talent, merci !
Oui, Florian Doidy mérite vraiment d’être connu et reconnu.
Merci à vous !
Honorée de pouvoir travailler avec Florian sur “24° en hiver” !
Merci pour cette belle interview qui est à lire & à relire…
Quel beau projet ce court métrage ! Merci pour votre commentaire.
Quel article très intéressant ! Ce pianiste talentueux dialogue avec humour et honnêteté sur son art, le piano. On ne s’ennuie pas une minute malgré les aspects “techniques” entre composition et improvisation….
Heureusement qu’il y a encore des gens passionnés par ce qu’ils font, avec un petit grain de folie ! une vrai bouffée d’oxygène ce jeune Florian Doidy!
Bravo
Tout à fait d’accord !
Et c’est en visionnant cette vidéo Making of Ysme fort bien faite de la préparation du film Ysme que l’on comprend mieux le travail, la méticulosité, la patience qu’il y a derrière chaque plan et chaque séquence tant autant du point de vue sonore que des images. On ne peut qu’être sensible à la passion et à l’esprit créatif de Florian Doidy !
Merci Cathy
Merci Claudine et Florian pour cette interview très intéressante. Florian doidy a un avenir brillant devant lui. Et quelle humilité ! 🙂
Merci Lucie. C’est vrai que Florian Doidy nous démontre très bien à travers cette interview, que l’on peut avoir beaucoup de talent sans se prendre au sérieux ! 🙂
Claudine, je me demande combien de gens agréables et gentils il est possible de débusquer avec cette histoire ! Merci beaucoup à tous !!! Allez, petit bonus du jour dans le sujet si vous n’êtes pas déjà tombés dessus : il y a un extrait d’une réadaptation de Moksha pour 3 voix et 3 musiciens, à 1’55 de la vidéo MDA Live, page video de mon site http://www.floriandoidy.com. C’était un pari osé, mais très, très, très chouette !
PS : je suis en train de bien me remettre au piano, même si cela a pris plus de temps que prévu, et le nouvel enregistrement dudit Moksha approche…Bonne journée à toutes et à tous. Merci encore pour toutes vos attentions & commentaires.